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système du jugement. Du double jugement, vous vous jugez vous-même et vous êtes jugé. Ceux
qui ont le goût de la morale, c’est eux qui ont le goût du jugement. Juger, ça implique toujours
une instance supérieure à l’être, ça implique toujours quelque chose de supérieur à une onto-
logie. Ca implique toujours l’Un plus que l’Être, le Bien qui fait être et qui fait agir, c’est le Bien
supérieur à l’Être, c’est l’Un. La valeur exprime cette instance supérieure à l’être. Donc, les
valeurs sont l’élément fondamental du système du jugement. Donc, vous vous référez toujours
à cette instance supérieure à l’être pour juger.
Dans une éthique, c’est complètement différent, vous ne jugez pas. D’une certaine manière,
vous dites : quoique vous fassiez, vous n’aurez jamais que ce que vous méritez. Quelqu’un
dit ou fait quelque chose, vous ne rapportez pas ça à des valeurs. Vous vous demandez
comment est-ce que c’est possible, ça ? Comment est-ce possible de manière interne ? En
d’autres termes, vous rapportez la chose ou le dire au mode d’existence qu’il implique, qu’il
enveloppe en lui-même. Comment il faut être pour dire ça ? Quelle manière d’être ça impli-
que? Vous cherchez les modes d’existence enveloppés, et non pas les valeurs transcendan-
tes. C’est l’opération de l’immanence. (...) Le point de vue d’une éthique c’est : de quoi es-tu
capable ? qu’est-ce que tu peux ? D’où, retour à cette espèce de cri de Spinoza : qu’est-ce
que peut un corps ? On ne sait jamais d’avance ce que peut un corps. On ne sait jamais
comment s’organisent et comment les modes d’existence sont enveloppés dans quelqu’un.
Spinoza explique très bien que tel ou tel corps, ce n’est jamais un corps quelconque, c’est
qu’est-ce que tu peux, toi ?
Mon hypothèse, c’est que le discours de l’éthique a deux caractères : il nous dit que les étants
ont une distinction quantitative de plus et de moins, et d’autre part, il nous dit aussi que les
modes d’existence ont une polarité qualitative ; en gros, il y a deux grands modes d’exis-
tence.
Qu’est-ce que c’est ? Quand on nous suggère que, entre vous et moi, entre deux personnes,
entre une personne et un animal, entre un animal et une chose, il n’y a éthiquement, c’est-à-
dire ontologiquement, qu’une distinction quantitative, de quelle quantité s’agit-il ? Quand on
nous suggère que ce qui fait le plus profond de nos singularités, c’est quelque chose de quan-
titatif, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Fichte et Schelling ont développé une théorie
de l’individuation très intéressante qu’on résume sous le nom de l’individuation quantitative. Si
les choses s’individuent quantitativement, on comprend vaguement. Quelle quantité ? Il s’agit
de définir les gens, les choses, les animaux, n’importe quoi, par ce que chacun peut. Les gens,
les choses, les animaux se distinguent par ce qu’ils peuvent, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas
la même chose. Qu’est-ce que c’est ce que je peux ? Jamais un moraliste ne définirait pas
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l’homme par ce qu’il peut, un moraliste définit l’homme par ce qu’il est, par ce qu’il est en droit.
Donc, un moraliste définit l’homme par animal raisonnable. C’est l’essence.
Spinoza ne définit jamais l’homme comme un animal raisonnable, il définit l’homme par ce qu’il
peut, corps et âme. Si je dis que « raisonnable » ce n’est pas l’essence de l’homme, mais c’est
quelque chose que l’homme peut, ça change tellement que déraisonnable aussi c’est quelque
chose que l’homme peut. Être fou aussi ça fait partie du pouvoir de l’homme. Au niveau d’un
animal, on voit bien le problème.
Si vous prenez ce qu’on appelle l’histoire naturelle, elle a sa fondation dans Aristote. Elle définit
l’animal par ce que l’animal est. Dans son ambition fondamentale, il s’agit de dire qu’est-ce
que l’animal est. Qu’est-ce qu’un vertébré ? qu’est-ce qu’un poisson ? Et l’histoire naturelle
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